A&L :: Lectures in the Mood #7

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Lectures in The Mood #è

17 mars 2022.

L’émission littéraire proposée par Josiane Guibert qui vous fait partager ses découvertes, ses points d’intérêts et ses coups de cœur.

Au programme :
1 – Vous les rencontrerez au CDN le 29 mars à 18 h 30. Maylis de Kerangal et Joy Sorman viennent de publier leur roman Seyvoz aux éditions Inculte. un petit livre très bien écrit et d’une forte intensité qui fait référence à l’engloutissement d’un village suite à la construction d’un barrage. Ne manquez pas cette rencontre et pensez à réserver auprès du CDN.

2 – Accompagné de Walter Badier, co-auteur, Pierre Allorant a rencontré le public le samedi 5 mars à 17 heures à la librairie des Temps modernes. Le même jour à 10 heures, il a été l’invité de l’émission Concordance des temps sur France Culture (vous pourrez l’écouter en podcast) pour présenter Les dix décisives, ouvrage placé sous la direction  de Pierre Allorant et Walter Badier aux Presses Universitaires de Rennes

3 – Une belle découverte, Les enfants à l’étoile jaune de Mario Escobar, autoédité en France, et qui raconte l’odyssée de deux jeunes enfants juifs pendant la seconde guerre mondiale et le rôle joué par de nombreux anonymes dont les habitants du Chambon-sur-Lignon. 

4 – Et enfin, mon gros coup de cœur du mois, Lorsque le dernier arbre de Michael Christie aux éditions Albin Michel, une saga qui nous mènera au Canada de 2038 à 1908 à la suite de personnages en relation étroite avec les arbres et avec la nature.


1. SEYVOZ par Maylis de Kerangal et Joy Sorman

Elles viendront rencontrer leurs lecteurs au CDN le 29 mars à 18 h 30 pour parler de leur livre, Seyvoz, publié chez Inculte et écrit à quatre mains.

Je connaissais Maylis de Kerangal, notamment pour Réparer les vivants, mais pas Joy Sorman. Ce livre a été pour moi une belle découverte. Seyvoz, le nom d’un village englouti pour permettre l’édification d’un barrage… au nom du progrès et de la fée électricité. Il me semble que ce roman a été inspiré par l’engloutissement du village de Tignes, submergé en 1952 par le lac de retenue du barrage construit dans la vallée. Par la suite, les Tignards reconstruiront leur nouveau village plus haut et décideront de reproduire l’ancienne église à l’identique. L’église Saint-Jacques-de-Tarentaise, aujourd’hui à l’entrée du village de Tignes 1800, est la reproduction de l’ancienne église et les retables en proviennent.

Voici la présentation lue en quatrième de couverture :

« Tomi Motz, ingénieur solitaire, est mandaté par son entreprise pour contrôler les installations du barrage de Seyvoz dont l’édification, dans les années cinquante, a entraîné la création d’un lac artificiel et englouti le village de montagne qui se trouvait là.

Pendant quatre jours, Tomi arpente la zone. Sous l’effet d’un étrange magnétisme, sa mission se voit bientôt perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques. Autour de lui, le réel se dérobe ; tout vacille, les lieux et les comportements, les jours comme les nuits, et peut-être jusqu’à sa propre raison.

S’aventurant aux lisières du fantastique, ce roman sonde les traces d’une catastrophe. Maylis de Kerangal et Joy Sorman y font résonner une mémoire immergée, mais insistante, et affleurer les strates de temps qui se tiennent dans les plis du paysage. »

Le roman est découpé en quatre chapitres qui correspondent aux quatre jours que va durer la mission de Tomi, et écrit à deux voix : celle de Tomi et celle de l’histoire du village, écrite en bleu, qui raconte l’évacuation du village, les choix faits par les habitants à la veille de leur départ de ce lieu qui renfermait l’histoire de leurs familles, leurs rêves et leurs projets, les aventures parfois dramatiques des ouvriers qui ont construit le barrage.

Tomi est donc envoyé en mission et là il se retrouve seul, sans réseau téléphonique ni Internet, sans contact avec quiconque, livré à des phénomènes étranges et déroutants. Déjà perturbé par l’arrêt du tabac, il se trouve confronté à la mémoire des lieux, à la mémoire de ceux qui sont restés jusqu’au bout et qu’il imagine, et il va essayer d’expliquer les sensations étranges qui l’assaillent alors qu’il se trouve près de cet ouvrage d’art qui a coûté tant de souffrance !

J’ai beaucoup apprécié ce livre, écrit avec finesse et sensibilité, sans parti pris – c’est au lecteur de se faire sa propre opinion – avec poésie et respect également, poignant et très fort. C’est un livre engagé, mais sans plaidoyer ni revendications sauf peut-être cette déclaration faite page 69 par un des bergers rencontrés sur le chemin : « tu as détruit notre vallée, tu es venu ici en colon, en occupant, et tu as noyé nos maisons, nos granges, nos tombes, tu as électrifié le fond de la bouillasse pour que les citadins puissent faire tourner les sèche-linge, tu as racketté les sols et coulé des tonnes de béton pour ériger un mur sur la rivière, ce mur hideux du progrès… ».

Le découpage du livre donne du sens et du rythme. Le personnage de Tomi est crédible et humain. J’ai trouvé très approprié et chargé de symboles dans le rappel du passé de commencer par relater le sauvetage des trois cloches, Alba, Égalité et France qu’on a descendues du clocher et qui donnaient une présence et une âme au village. Dans ce livre, le réel et l’imaginaire se côtoient et s’entremêlent adroitement, contribuant à construire une atmosphère intrigante, mais jamais pesante.

Une très belle lecture, un livre qui ne laisse pas indifférent et dont on se souviendra. Et, pour terminer cette présentation, en voici un passage de la page 21 (écrite en bleu) :

« Enfants, bêtes, cloches. La ligne de basse de leur existence. Tant qu’elle résonne ils sont chez eux, vivants ; tant qu’elle vibre, leur monde perdure, intact –leur monde, soit ce vallon évasé, assez large pour qu’y descende le soleil, une alvéole chaude et fertile, une rivière au débit tonique, et tout autour, étagés, les alpages en pentes douces, la frise de crêtes tendres et de sommets jamais atteints. Seyvoz, si proche du paradis, un camp de base avant le Ciel. 

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2. LES DIX DECISIVES par Pierre Allorant, Walter Badier et Jean Garrigues

Si une chose ne fait aucun doute, c’est la compétence et l’énergie de Pierre Allorant. Il y a quelques mois, je vous parlais de Lieux de mémoire en région Centre-Val de Loire.

Aujourd’hui, je vous présente le dernier recueil dont il a préparé la publication, Les dix décisives aux Presses Universitaires de Rennes. Cet ouvrage fait suite au colloque qui s’est tenu du 2 au 4 septembre 2019 au Conseil d’État, organisé par le CHPP (Comité d’histoire parlementaire et politique) et le laboratoire POLEN-CEPOC (Université d’Orléans), avec le soutien du Sénat, du Conseil d’État, du LabEx EHNE (écrire une Histoire nouvelle de l’Europe), du CEMMC (Université de Bordeaux) et du Centre Maurice Hauriou. N’étant pas historienne, j’ai sur cet ouvrage un regard de néophyte. Et j’ai beaucoup appris en le lisant. L’avantage pour un non-historien est de pouvoir naviguer dans l’ouvrage au gré de ses centres d’intérêt puisqu’il est découpé en quatre parties et de nombreux chapitres assez courts.

Voici la présentation du livre en quatrième de couverture :

« Belle Époque », « Trente glorieuses », ® Années de plomb » : les noms de période ont servi aux historiens de « divisions imaginaires du temps ». Peut-on parler des « Dix décisives » pour la décennie 1869-1879, soulignant ainsi la continuité de l’influence libérale ?

Cent cinquante ans après l’effondrement du Second Empire, de l’écrasement de la Commune de Paris et de la lente et incertaine conquête de la République, la décennie 1869-1879 mérite d’être revisitée.
Le temps est venu d’offrir une synthèse renouvelée, prolongée d’une réflexion mémorielle sur les ressorts de l’établissement de « la plus longue des Républiques ». Quel est le moment décisif ? Sans doute celui durant lequel les choses se décident, où les acteurs sortent du provisoire, saisissent l’opportunité de l’instant de la décision. Les « Dix décisives » s’inscrivent en amont de l’installation durable de la Troisième République, enfin solidement aux mains des républicains : l’alliance politique et intellectuelle entre républicains modérés et libéraux orléanistes, préparée par une maturation et des échanges intellectuels, a servi de clé de voûte à la fondation durable de la République parlementaire en France.

Cet ouvrage, placé sous la direction de Pierre Allorant, professeur d’histoire du droit et des institutions, doyen de la faculté de Droit d’Orléans, secrétaire général du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPR), Walter Badier, maître de conférence d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, secrétaire général du CHPR, Jean Garrigues, professeur émérite en histoire contemporaine à l’université d’Orléans, président du CHPR, regroupe les contributions de plus de trente historiens, enseignants et chercheurs en histoire contemporaine, en histoire du droit, du droit politique et des sciences politiques.

C’est dire la qualité et la fiabilité des informations qui y sont publiées.

Comme je le disais, cet ouvrage est découpé en quatre parties.

La première, parcours de grands acteurs, évoque des personnages comme Jules Simon, Étienne Lamy, Oscar Bardi de Fourtou ou Charles de Freycinet, mettant en évidence leurs aspirations et leurs différences. La deuxième partie développe la question des réseaux, courants et recompositions des familles politiques. Ainsi, on abordera le champ des cultures politiques, du parlementarisme, du régime de l’assemblée… La troisième partie évoquera la question des lieux et échelles de nouvelles pratiques en s’intéressant aux actions dans le Lot, le comté de Nice, Paris, la Seine-et-Oise, mais aussi l’entrée de Gambetta en politique. La quatrième partie verra le développement de l’empreinte sur le modèle républicain de ces dix années. Enfin, dans une cinquième partie on pourra confronter différents points de vue sur les modèles politiques exposés.

Un cahier d’illustrations qui reprennent une exposition présentée au Sénat (affiches, caricatures…) complète cet ouvrage. Elles seront reprises dans une exposition présentée aux Archives nationales à partir du 1er avril 2022.

 la lecture de cet ouvrage, on comprend bien en quoi ces dix années ont imposé le modèle politique des troisième et quatrième républiques puisque la constitution de 1875 a abouti à des lois constitutionnelles, descriptives et pragmatiques, qui ont établi le septennat en vigueur jusqu’à notre quinquennat actuel, le rôle du Sénat et les rapports des pouvoirs publics entre eux.

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3. Les enfants à l’étoile jaune par Mario Escobarn Golderos

Dans Les enfants à l’étoile jaune, Mario Escobarn Golderos, auteur de best-sellers internationaux, nous offre le récit de la fuite et de l’espoir de deux enfants juifs au cœur des dangers de la seconde guerre mondiale.

 
Mario Escobar Golderos est titulaire d’une licence en histoire et d’un diplôme d’études supérieures en histoire moderne. Il a écrit de nombreux livres et articles sur l’Inquisition, la Réforme protestante et les sectes religieuses. Il est directeur exécutif d’une ONG et dirige la revue Nueva historia para el debate, tout en étant chroniqueur pour diverses publications. Passionné par l’histoire et ses mystères, il a plongé dans les profondeurs de l’histoire de l’Église, des différents groupes sectaires qui s’y sont affrontés et de la découverte et de la colonisation de l’Amérique. Il est spécialisé dans la vie des Espagnols et des Américains peu orthodoxes.

Voici la présentation du livre faite par l’éditeur :

« Août 1942. Jacob et Moïse Stein, deux jeunes frères juifs, vivent chez leur tante dans un Paris sous occupation nazie. Leurs parents, célèbres dramaturges allemands, ont confié les enfants aux bons soins de leur tante jusqu’à ce qu’ils puissent trouver un endroit sûr pour réunir leur famille. Mais avant que les Stein puissent se retrouver, un énorme et terrifiant bouleversement se produit. Les gendarmes français, sur l’ordre des nazis, interpellent les enfants et les conduisent au Vélodrome d’Hiver, un obscur complexe sportif parisien, où des milliers de Juifs français sont parqués.

Jacob et Moïse savent qu’ils doivent s’enfuir pour survivre, mais ils ne disposent que de quelques lettres envoyées depuis le sud de la France pour les conduire jusqu’à leurs parents. Le danger guette les enfants qui ne peuvent compter que l’un sur l’autre, au fil de leur périple à travers le pays occupé. Au cours de leur incroyable voyage, ils rencontrent de courageux inconnus qui risquent leurs vies pour les protéger – certains paieront le prix fort pour être venus en aide à ces jeunes réfugiés de guerre. »


Ce roman met en scène deux enfants, des personnages fictifs ; mais l’environnement politique, les faits historiques et les lieux mentionnés sont bien conformes à la réalité et font référence à l’Occupation et à l’extermination des Juifs par les nazis avec l’aide du gouvernement de Vichy. Le livre met également en évidence le rôle joué par tous ces hommes et femmes qui ne prétendaient pas être des héros, mais qui ont fait, chacun à leur échelle, le maximum pour venir en aide aux Juifs et aux persécutés. On prend conscience de l’importance de l’action des habitants du Chambon-sur-Lignon sous l’impulsion du pasteur André Trocmé.

Il me faut également préciser que ce roman est suivi d’une présentation chronologique de 6 pages des événements principaux de la seconde guerre mondiale à partir de l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes le 1er septembre 1939 jusqu’à la libération de Paris le 26 août 1944. ce rappel historique est suivi de 35 pages de photos d’archives en rapport avec le rôle du Chambon-sur-Lignon.

J’ai apprécié ce livre, très intéressant, profondément humain, au rythme soutenu, aux nombreux rebondissements, et qui met en scène des épisodes douloureux de notre histoire. On éprouve de l’empathie pour les personnages tous bien décrits L’auteur sait peindre avec justesse et sensibilité les réactions des enfants, leurs attentes, leurs joies, leurs angoisses. Ce livre est une leçon d’amour, de tolérance, d’humanité, de générosité. Bien sûr, c’est un roman et tout s’arrange toujours, les héros se sortent de toutes les situations même les plus difficiles ! C’est sans doute le plus difficile à croire mais cela n’enlève rien à la qualité de ce livre dont je vous recommande la lecture.

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4 – Lorsque le dernier arbre par Michael Christie

Et voici mon plus gros coup de cœur du mois, Lorsque le dernier arbre de Michael Christie aux éditions Albin Michel et dont le titre est Greenwood dans l’édition anglophone. J’ai pu échanger avec l’auteur que je remercie vivement pour sa disponibilité, ce qui me permet aujourd’hui de faire de ce livre une présentation la plus personnalisée possible qui fait suite au morceau de jazz que vous venez d’entendre et qui m’a été suggéré par l’auteur lui-même..

Un roman fascinant, inclassable, éblouissant, merveilleux, un roman qui ne peut laisser indifférent. Michael Christie est canadien et vit près de Vancouver. Il a déjà publié un recueil de nouvelles et ce livre est son premier roman. Mais quel roman !

Voici la présentation de l’éditeur en quatrième de couverture :

« Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde –, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. ».
D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?
Fresque familiale, roman social et écologique, ce livre aussi impressionnant qu’original fait de son auteur l’un des écrivains canadiens les plus talentueux de sa génération. »

Michael Christie a grandi à Thunder Bay, petite ville ouvrière de l’Ontario. Dans sa famille, plusieurs personnes étaient des charpentiers ou travaillaient dans des usines de pâte à papier, et ils étaient également amoureux de la nature. Il a donc toujours été entouré d’arbres. À l’âge de 17 ans, il est parti dans l’ouest de la Californie et il vit maintenant avec sa famille sur une petite île au large de Vancouver dans une maison à ossature bois qu’il a construite lui-même. Il a occupé de nombreux emplois. Mais surtout, il a été menuisier et a travaillé dans un refuge pour sans-abri dans le quartier Downtown Eastside, le plus pauvre de Vancouver.  Aujourd’hui, il est écrivain à plein temps, ce qui lui convient parfaitement. Il a presque terminé un autre roman, l’histoire d’une adolescente disparue qui se déroule sur une petite île boisée pleine de secrets. Il travaille également sur une adaptation en série limitée de Greenwood pour la télévision.

Il a toujours été intéressé par les arbres et a pensé qu’il serait judicieux d’écrire un livre sur une famille dont l’histoire est liée aux forêts. Il voulait transmettre un message environnemental, mais peut-être plus important encore, écrire sur la façon dont nos vies sont liées au monde naturel, que nous l’admettions ou non. L’enthousiasme avec lequel Greenwood a été accueilli dans le monde entier a été une réelle surprise pour lui qui se réjouit que ce livre ait été traduit dans plusieurs langues y compris le chinois, le russe, le néerlandais et l’allemand.

Le livre est structuré comme les cernes d’un arbre, mais il n’était pas possible à l’auteur de donner à chaque période le même poids narratif, sinon le livre aurait fait plus de 1 000pages ! L’un des défis de cette structure narrative, c’est que les lecteurs rencontrent un personnage dans les premières pages et ne le revoient plus pendant 500 pages. Les autres sections du roman contribuent vraiment à la profondeur de la section de 1934, la plus développée, écrite comme un roman de Steinbeck dépeignant les problèmes sociaux de son temps, et qui serait beaucoup moins intéressante si elle était présentée seule.

L’action commence en 2038, après que le monde ait perdu tous ses arbres suite au grand dépérissement. À ce moment, l’absence d’arbres a provoqué des orages de poussière qui assèchent tout et rendent la vie difficile, occasionnant d’importants mouvements de populations. Seul le Canada dispose d’un espace protégé, une île où subsiste une forêt primaire et à laquelle les plus fortunés, appelés les pèlerins, ont accès. Là, Jacinda Greenwood, dendrologue, spécialiste de la botanique des arbres, est guide et travaille pour la Cathédrale, société qui exploite cet environnement préservé. Un jour, un ex-petit ami devenu avocat vient lui apprendre que cette île lui appartiendrait.

À partir de ce moment, on se trouve embarqué dans une aventure familiale, de génération en génération. On va d’abord remonter en 2008 pour suivre Liam Greenwood, charpentier, puis en 1974 avec la vie de Willow Greenwood, activiste qui cherche à empêcher la destruction des forêts, puis en 1934 après la grande dépression qui verra l’essor de la société d’exploitation du bois par Harris et les tentatives d’Everett pour survivre grâce à la forêt et pour sauver l’enfant qu’il a trouvée, enfin en 1908 qui verra la catastrophe ferroviaire au cours de laquelle les seuls rescapés seront Harris et Everett qu’on nommera Greenwood parce qu’on les a découverts dans les bois.

« De nos jours, on parle beaucoup d’arbres généalogiques, de racines, de liens du sang, etc., comme si des familles existaient de toute éternité et que leurs ramifications remontaient sans discontinuer jusqu’à des temps immémoriaux. Mais la vérité, c’est que toute lignée familiale, de la plus noble à la plus humble, commence un jour quelque part. Même les arbres les plus majestueux ont d’abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre. » lit-on à la page 263, année 1908 dans le livre.

Comme je le disais précédemment, l’histoire est découpée comme celle d’un arbre qu’on coupe. Cela confère à ce roman une structure originale : on part de 2038, puis en passant en 2008, 1974, 1934, on remonte à 1908 pour revenir en 1934 puis en 1974 puis en 2008 puis en 2038. À ce moment-là, on a assemblé toutes les pièces du puzzle et compris comment les destins se sont construits dans la société de leur temps, quelles conséquences ont eues les secrets et les actions des protagonistes. Comme les différents cernes de la structure d’un arbre, le temps consacré à chacune des étapes de cette fresque historique varie.

Mais, à la lecture de ce livre de presque 600 pages, on ne s’ennuie jamais. Le style est fluide, les chapitres courts ; chacun d’eux porte un titre en lien avec son contenu comme La grande ville, La réception, Retour à l’arbre, Un mauvais coup, Willow Greenwood, La poussière… J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre et j’ai eu de l’empathie pour les personnages, en particulier pour Everett, un des personnages clés si bien décrits en 1934, ce vagabond au grand cœur dont on dit page 458 « …depuis ce premier soir où il l’a entendue pleurer, elle l’a refaçonné jusqu’à faire de lui quelqu’un d’entièrement neuf… quelqu’un qui donne plus de valeur à une autre vie qu’à la sienne. »

Ce n’est sans doute pas étonnant si j’ai lu ce livre avec intérêt. En effet, au cours de ma vie professionnelle, j’ai été formatrice dans une scierie école et alors j’ai dû tout apprendre sur les différentes essences et sur la croissance des arbres. Plus tard, mon fils est devenu menuisier après sa formation chez les compagnons du devoir et du tour de France. Il n’y a pas de hasards mais de multiples coïncidences !

Je conclurai par ces pensées de Liam à la fin de sa vie et qu’il écrit page 519 : « Le bois, c’est du temps capturé. Une carte. Une mémoire cellulaire. Une archive. C’est pourquoi, d’après Liam, les menuisiers-charpentiers comme lui ne manqueront jamais de travail. Parce que les gens voudront toujours avoir du bois près d’eux, que ce soit dans leurs maisons, au sol, aux murs ou au plafond, dans les cannes sur lesquelles ils s’appuient en toute confiance, leurs plus beaux instruments de musique, les objets transmis de génération en génération et les vieilles chaises à bascule, et les boîtes qui facilitent leur voyage en terre. »

Bonnes lectures à tous et rendez-vous le 21 avril pour de nouvelles découvertes !

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