A&L :: Lectures in the Mood #17

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10 mars 2023

L’émission littéraire proposée par Josiane Guibert qui vous fait partager ses découvertes, ses points d’intérêts et ses coups de cœur.

Au Sommaire :
Mars est le Printemps des poètes. Pour le célébrer, j’ai choisi de vous parler de deux poètes au sujet desquels des manifestations sont organisées dans le Loiret :
 
1 -Au centre Péguy, on peut visiter jusqu’au 29 avril l’exposition Naissance d’un écrivain : « Pierre », un manuscrit de Charles Péguy.
Ce sera pour moi l’occasion de parler de ce grand poète orléanais et de lire quelques-uns de ses vers.
 
2 –
À Châteauneuf-sur-Loire, la bibliothèque municipale propose le 25 mars à partir de 14 h 30 salle de réunion de l’espace Florian, une rencontre Sur les pas de Pascale Olivier, une poétesse castelneuvienne à découvrir. Vous y ferez connaissance une femme aux multiples talents qui vécut à Châteauneuf sans que personne n’y connaisse son importante œuvre littéraire.



Bonjour à toutes et à tous.

En ce mois de mars, le Printemps des poètes 2023 a pour thème Frontières. Il y a de multiples façons d’interpréter ce terme. J’ai choisi de vous faire passer la frontière entre un monde connu et un monde à découvrir.

Tout d’abord, je vais vous parler de Charles Péguy. Connu ?, oui car bon nombre d’Orléanais savent qu’il est né à Orléans et que l’on fête le 150e anniversaire de sa naissance. Inconnu aussi parce que, dans bien des idées reçues, Péguy est un auteur mystique et difficile à lire.

Pour ma part, moi qui ne suis pas de formation littéraire, j’ai découvert Péguy grâce au centre Péguy d’Orléans où j’ai suivi un atelier d’écriture en 2013-2014. Ce fut pour moi une révélation, un émerveillement. J’ai donc continué à lire des textes, à aller à des colloques ou des conférences, notamment proposés par l’Amitié Charles Péguy.

Né le 7 janvier 1873 à Orléans, Péguy fut l’unique enfant d’une famille modeste : sa mère et sa grand-mère étaient rempailleuses de chaises, son père, ouvrier menuisier, est mort alors que Charles n’avait que 10 mois. Dans la famille, on travaille beaucoup, par nécessité bien sûr, mais aussi par goût et le jeune Charles ne perçoit de cette existence laborieuse que la joie, le rythme et la satisfaction du travail bien fait.

Dans L’Argent, paru en 1913, il décrit le monde de son enfance, un monde idéalisé dans lequel le culte du travail, la sobriété des moeurs sont parmi les éléments d’un passé révolu. Dans cette société, l’école est une part précieuse qui lui a donné sa chance en lui permettant de s’épanouir. Il dépeint l’école comme un lieu d’émerveillement.

En voici un extrait de « L’Argent », in Œuvres en prose complètes III, Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p 801, passage souvent évoqué par la suite.

« Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. Un long pantalon noir, mais, je pense, avec un liseré violet. Le violet n’est pas seulement la couleur des évêques, il est aussi la couleur de l’enseignement primaire. Un gilet noir. Une longue redingote noire, bien droite, bien tombante, mais deux croisements de palmes violettes aux revers. Une casquette plate, noire, mais un recroisement de palmes violettes au-dessus du front. Cet uniforme civil était une sorte d’uniforme militaire encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. Quelque chose, je pense, comme le fameux cadre noir de Saumur. Rien n’est beau comme un bel uniforme noir parmi les uniformes militaires. C’est la ligne elle-même. Et la sévérité. Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République. Par ces nourrissons de la République. Par ces hussards noirs de la sévérité. Je crois avoir dit qu’ils étaient très vieux. Ils avaient au moins quinze ans. Toutes les semaines il en remontait un de l’école normale vers l’école annexe ; et c’était toujours un nouveau ; et ainsi cette école normale semblait un régiment inépuisable. »

Un autre texte, écrit plus tôt, mais resté inachevé et publié à titre posthume, ajoute de l’ironie à la nostalgie de ses souvenirs ; C’est Pierre, commencement d’une vie bourgeoise. Dans ce texte, la mère de Pierre lui inculque le souci du bon travail, mais aussi de bien obéir dans l’espoir d’accéder à une bonne situation, un toit à lui, une retraite convenable, bref l’aspiration à un idéal petit-bourgeois. Notons que, pour Péguy, s’élever dans la société ne sera jamais un objectif, ce qu’il espère c’est que chacun puisse avoir la dignité de son état.

Voici un passage de, « Pierre, Commencement d’une vie bourgeoise », in Œuvres en prose complètes I, Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p 181, 182.

« Tels étaient, sauf un, sauf une armoire exilée à côté, dans la chambre, tels étaient les meubles que ma grand-mère avait fait venir de Moulins avec elle, sur un bateau ; c’était elle bien entendu, qui en avait le grand usage et l’ordonnance et quand j’y travaillais j’y travaillais sous son commandement, selon son enseignement ; c’était ma grand-mère qui tous les matins balayait la maison ; elle se servait pour cela du balai habituel ; c’était un grand fort balai jaune clair, patiemment et régulièrement fait de jonc sec si bien tressé qu’il en était méconnaissable, de jonc couleur de paille attaché de ficelles régulières alternant bleues et rouges, emmanché d’un long manche rond de bois blanc ; c’était un grand balai fortement serré, lié en haut, près de la hampe, où les tiges de jonc étaient grosses et nervées, puis peu à peu largement épanoui, étalé en d’innombrables brindilles fines et sèches par le bas qui servait à balayer ; ma grand-mère promenait régulièrement le balai habituel d’un geste large sur les vieux carreaux rouges déteints, tout cassés au milieu de la maison, dans le passage, cassés sous les pieds des hommes et sous les pieds des chaises, moins cassés dans les coins, presque entiers et moins déteints sous les meubles ; ma grand-mère balayait si exactement les carreaux qu’il n’y restait ni un grain de poussière ni un brin de paille ; du seul geste régulier elle promenait et ramenait la poussière et la paille mêlées poussées devant le balai jusqu’au seuil de la maison ; arrivée au pas de porte, ma grand-mère s’arrêtait ; d’une main légère elle triait la paille en secouant la poussière, amassait la paille en un tas devant la croisée, faisait, d’un coup de balai vite et adroit, sauter le pas de porte à la poussière ; alors, quittant la maison où depuis la veille elle s’était lentement assemblée, la poussière commençait à entrer dans la rue, ma grand-mère commençait à balayer dans la rue ; cela n’était pas facile, et demandait un certain doigté ; car il s’agissait de conduire cette menue poussière fragile de la maison depuis la maison jusque sur la route, il s’agissait de lui faire faire ce long voyage, de lui faire traverser toute la largeur du trottoir sans entraîner avec elle sous le balai le sable même de ce trottoir et la terre qui était sous le sable, parce que ce sable était fait de grains grossiers, parce que la terre était noire, parce que le sable et la terre n’étaient pas à nous, puisque c’était la ville qui disait au cantonnier de les semer et de les étaler sur le trottoir du faubourg devant les maisons ; ma grand-mère s’entendait admirablement à conduire ainsi délicatement la poussière grise de la maison dans le sable municipal ; arrivée au bord du trottoir, elle faisait passer le ruisseau à cette poussière et l’installait amoncelée enfin sur le tas d’ordures où elle pouvait reposer pour un temps ; ma grand-mère secouait son balai en le tapant sur le rebord du trottoir, puis refaisant en sens inverse le même chemin elle rentrait à la maison. »

Et je ne peux pas terminer cette évocation de Charles Péguy sans vous lire quelques vers. Car lire des vers de Péguy, c’est jouer de la musique, c’est se laisser emporter par le rythme, c’est vraiment du bonheur. Il y a quelques années, j’ai découvert La tapisserie des sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, recueil écrit en 1912 et publié en 2016 aux éditions Paradigme.

Commencé au départ sous forme de compilation de sonnets, à partir du sonnet VII, il se lance dans un sonnet qui s’agrandit démesurément. Achevé en novembre 1912, le sonnet VIII comprendra 969 vers.

Quelle merveille !

En voici quelques vers extraits du poème inédit IX, in La tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc et poèmes inédits, éditions Paradigme 2016, p 285.

il fallut qu’il advînt que le jour du sciage

la plus multiple dent mordit le plus beau tronc

et que le vieil ancêtre et l’arbre le plus rond

tombât dans le fracas d’un immense feuillage

il fallut qu’il advînt qu’au jour de l’étiage

le fleuve inépuisable et lourd fût trouvé sec

et qu’un moineau des champs n’eût pas mouillé son bec

dans ce fleuve de grâce où l’on faisait naufrage

il fallut qu’il advînt qu’au jour du balayage

l’homme fut plus léger que la paille et le son

et qu’il fut rejeté du seuil de la maison

quand on dut procéder au dernier nettoyage

il fallut qu’il advînt qu’au jour du délayage

l’homme montra sa couche et fut trouvé boueux

et qu’il montra ses os et fut trouvé noueux

et ce limon formait un vaseux marécage

il fallut qu’il advint qu’au jour du monnayage

l’homme montra sa pièce et fut trouvé faussaire

et les trente deniers et le bouc émissaire

seuls pesaient le bon poids sans soupçon d’alliage

il fallut qu’il advînt qu’au jour de l’embrayage

l’homme manqua son coup et fut mal embrayé

et qu’il manqua l’aiguille et fut mal enrayé

et resta sur le bord quand vint l’appareillage

Je vous invite à aller voir l’exposition Naissance d’un écrivain : « Pierre », un manuscrit de Charles Péguy, présentée à Orléans au centre Péguy jusqu’au 29 avril.

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Maintenant, j’aimerais vous faire franchir d’autres frontières : d’abord vous faire découvrir Pascale Olivier, le nom de plume de Simone Deschellerins sous lequel elle était connue à Châteauneuf-sur-Loire où elle vécut jusqu’à sa mort en 1979, mais aussi retrouver le pays perdu de son enfance qu’elle a su si bien chanter.

Simone de Barrau de Muratel, née en 1896 dans le Bourbonnais, région natale de sa mère, passa son enfance et son adolescence dans le vaste domaine du Tarn, proche de Sorèze, acquis au XVIIIe siècle par ses ancêtres huguenots.

En 1919, elle épouse Olivier Tourraton-Deschellerins et vit tantôt à Châteauneuf au château de l’Étang, propriété des grands-parents de son époux, tantôt à Paris où elle fréquente les milieux littéraires de l’époque.

Elle manifeste depuis toujours le goût de l’écriture et écrit un journal (inédit) à partir de 1927. Elle publie un premier recueil de poésies en 1935, Comme un reflet sur une eau vive, ouvrage qui reçoit le prix littéraire de la Proue, attribué par un cercle littéraire qui regroupait des poètes d’alors comme Georges Duhamel.

Ses poèmes, écrits en vers libres, évoquent, la nature, les éléments, en particulier le vent, les arbres, l’amour. Voici un extrait du poème « Lumière » :

            Mais vois le hêtre de mon enfance,

            de ses branches retombées

            autour du tronc couleur de tourterelle,

            et doux au front comme un plumage,

            tout l’été a retenu tendrement

            l’abeille emprisonnée de la chaude lumière,

            dont chaque feuille envolée

            aujourd’hui rayonne merveilleusement.

La Montagne Noire, les grandes marches dans la nature sauvage participent largement à son inspiration. Chaque année, elle va se replonger dans les lieux de son enfance où elle retrouve la solitude et une forme d’apaisement dans un contact sensuel avec la nature. Dans le poème « Les arbres de mon enfance » extrait de Le chant perdu dans le silence, elle écrit :

            Les arbres de mon enfance,

            irrésistiblement implantés dans mon coeur

            par la tendre poussée de leurs racines

            et ces paysages retenus par l’amour,

            qui forment le climat où s’enchante la vie,

            le pays merveilleux où retrouver

            cette beauté terrestre

            dont je voudrais que fût fait mon Paradis,

            – savent-ils aussi se souvenir,

            et que restera-t-il en eux

            de mon passage, et de tant de ferveur ?

Avant-guerre, elle publiera en effet deux autres recueils de poésie :

            Le Chant perdu dans le silence, en 1937 ;

            Ombre qu’une ombre efface, en 1939.

Des poèmes extraits de ces trois recueils ainsi que des poèmes inédits paraîtront dans des revues comme La Proue, Le Divan, Le Mercure de France.

Une autre source d’inspiration pour elle est la chasse, tradition familiale. Dans le Tarn, au château du Montagnet à Sorèze, son grand-père, David Maurice de Barrau, chassait le lièvre dans la Montagne Noire avec son équipage, le rallye Malamort. Du côté de sa mère, la chasse marque la famille depuis plus de deux siècles. À son tour, Pascale Olivier s’adonne aux plaisirs de la chasse auxquels elle a été associée très tôt. Le sous-bois de sa propriété, la forêt d’Orléans et la Sologne toutes proches, lui offrent le cadre et la profusion de gibier. Le couple Deschellerins crée le rallye Combe aux loups, dont elle compose la fanfare.

Elle publie des récits dans des revues de chasse et, en 1936, Les Plumes du geai, un recueil de courts textes en prose qui mettent en scène la nature et les animaux de la forêt.

Voici un extrait du texte « Février » :

            Un souffle ailé, mystérieux, de temps à

            autre passe à mi-hauteur des troncs, et

            s’éteint sans raison, comme il est venu.

            Celui-ci pourtant persiste, s’amplifie, devient

            bruissement, rythme, course dansante

            sous les feuilles de l’année passée…

            Le chevreuil s’arrête à quelques pas, me

            dévisage longuement, gravement.

            Que lirais-je, si j’en étais digne, dans ses

            tendres yeux sauvages ? défi, confiance ?

.

Mais la guerre est là et Simone va s’investir au service de la population. En effet, comme sa mère avant elle, elle est infirmière au sein de la Croix-Rouge française. Elle n’a plus le temps d’écrire autre chose que son journal et elle se dévoue sans compter tout d’abord pour aider les réfugiés au début du conflit puis pour soigner les prisonniers français issus des colonies et détenus dans les Fronstalags installés dans le Loiret par les troupes d’occupation. Sans relâche, au volant de sa voiture, en sa qualité d’infirmière ambulancière, responsable départementale de la Croix-Rouge, elle sillonne les routes du Loiret dans des conditions souvent difficiles.

Après cette période troublée, la famille vend la propriété de la Montagne Noire. C’est un véritable déchirement pour Pascale Olivier qui perd ainsi la terre de ses ancêtres et la maison de son enfance.  Dans le texte In memoriam, paru en 1946, elle écrit : « Maison des mille souvenirs ! J’erre en silence entre vos murailles d’ombre. Un fantôme léger m’accompagne, une double enfant aux yeux lointains dont les cheveux pâles flottent au vent de sa course. Une ombre, une odeur ressuscitée surgissent de chaque porte, de chaque angle des murs éteints et le sapin d’autrefois glisse par la fenêtre entrebâillée un rameau noir brillant de résine neuve et de soleil… »

Car, après la guerre, Pascale Olivier reprend l’écriture. La plupart de ses écrits portent la tristesse d’avoir dû renoncer aux lieux de son enfance, le déchirement de la perte des êtres chers. Elle publie des textes en prose dans des revues, Le Divan, La revue hebdomadaire, la revue du Tarn et fait paraître deux recueils : Proses, en 1946, et Un chant sur la terre, en 1951.

Il est très difficile de présenter brièvement une œuvre aussi importante et aussi variée que la sienne. Je terminerai ma présentation par un extrait du texte Et resurrexit paru en 1956 dans la revue du Tarn où elle chante le pays perdu de son enfance :

« Par ce haut triangle de ciel et de plaine qu’embrasent les couchants tragiques de l’équinoxe, par cette faille taillée à vif dans la chair vive des montagnes, s’engouffre la colère du vent marin, porteur de pluies et de brouillards. Rumeur et goût d’océan libre, embruns que l’horizon te jette en plein visage, souffle pesant qui recourbe l’herbe des crêtes, brasse la lande drue et bourrue, et sculpte ainsi qu’un créateur le corps humain qui ose l’affronter.

     La tour que le cruel Montfort démantela, et qui résiste encore, alors que lui n’est que souvenir honni et poussière ensevelie, la tour tronquée des chats-huants dresse à même le roc ses pierres rongées de sel et brûlées de soleil et l’arbuste sans âge agrippé à son faite, gonflé de vent comme une triomphante chevelure.

     Est-ce bien lui, le vent, qui fait entendre ce chant féroce aux brèches des hautes murailles ? Et dans le fond presque comblé des oubliettes, n’est-il vraiment d’autre rumeur que l’écho de la plainte innombrable et désolée du torrent, dévalant la pente de la vallée jusqu’au gouffre sans fond où, jadis, tournoyaient les morts ?

     … Cette enfant d’autrefois qui, sur les ruines penche sa tête lustrée de pluie, à chaque instant menacée par la chute des pierres, cette enfant solitaire qui, dans ses veines garde le sang farouche des Albigeois et, dans son cœur, l’indomptable ferveur huguenote, n’est elle autre chose qu’une forme incertaine faite de brouillards et d’averses, un fantôme inventé, déjà presque oublié, que peu à peu défait et disperse le vent ? »

Une réédition dess oeuvres complètes de Pascale Olivier est prévue d’ici peu. Je vous engage donc à suivre l’actualité littéraire pour savoir comment vous la procurer.

En attendant, je vous invite à la rencontre organisée par la bibliothèque de Châteauneuf-sur-Loire le 25 mars prochain à 14 h 30 à la salle de réunion de l’espace Florian. Après un exposé illustré d’un diaporama, vous pourrez entendre des lectures de textes issus de tous les recueils qu’elle a publiés.

Bonsoir et au plaisir de vous retrouver prochainement.

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