A&L :: Lectures in the Mood #9

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Lectures in The Mood #9

19 mai 2022.

L’émission littéraire proposée par Josiane Guibert qui vous fait partager ses découvertes, ses points d’intérêts et ses coups de cœur.

Au programme :
Ce mois-ci, plusieurs découvertes, des livres que je n’ai pas l’occasion de lire habituellement et qui m’ont surprise et enchantée.
 
1 – Tout d’abord, et radio de musique oblige, Allons danser de Brice Homs aux éditions Anne Carrière.
 
2 – Dépaysement et étude de caractères avec La Tour de Doan Bui aux éditions Grasset.
 
3 – Et un livre qui amène à se poser des questions à propos de la place de la robotique dans nos vies, SARA : elle veille sur vous de Sylvain Forge aux éditions Fayard.
 
Et parmi mes découvertes du mois, j’ai eu un vrai coup de coeur pour :
 
4 – Les Conteforts de Guillaume Sire aux éditions Calmann Lévy, une tragédie en cinq actes qui met notamment en vedette les Corbières, le terroir de l’auteur.
 
5 – Et pour terminer, Le Livre des heures, une petite pépite d’Anne Dalaflotte-Mehdevi aux éditions Buchet-Chastel, une belle histoire de femme qui nous plongera au XVe siècle à l’aube de l’invention de l’imprimerie.
 


1. Allons danser de Brice Homs aux éditions Anne Carrière

Bonjour à tous et à chacun.

Et maintenant, je vous invite à une première lecture. Allons danser de Brice Homs aux éditions Anne Carrière. En effet, ce titre est comme une invitation et, comme l’écrit l’auteur tout à la fin des remerciements : « J’essaie d’écrire des romans dans lesquels on a envie d’habiter. Merci d’y être entré. »

Sur une radio de jazz, particulièrement jazz Nouvelle Orléans, il est tout à fait évident d’évoquer ce livre dont l’action s’y déroule.

En quatrième de couverture, on peut lire :

« Lafayette, Louisiane. Frange dans les yeux, tatouages sur l’épaule, Loretta chante, courbée sur sa guitare. Devant la scène, une foule joyeuse danse en rythme. Dans cette foule il y a Martin, un photographe français en rupture avec sa vie parisienne, à peine débarqué de l’avion. C’est le début d’une histoire d’amour qui va les emporter, de la poussière des routes qui sillonnent les bayous aux allées de Nashville. Loretta va gravir, une à une, toutes les marches du succès jusqu’à la vraie question : Et maintenant ? Est-elle prête à abandonner cette vie au milieu des siens, dans la nature grandiose de l’Atchafalaya, pour aller là où son talent peut la mener, très haut, trop loin ? Parce que, quoi que l’on gagne, choisir, c’est accepter de perdre. Perdre ce qu’on n’a pas choisi.
Brice Homs nous en convainc sans mal : quelle que soit la route que l’on choisit d’emprunter, chaque seconde de l’existence mérite d’être célébrée. Écrit dans une langue ciselée et percutante, Allons danser est un roman d’amour fou et un puissant portrait de femme libre, teinté de scènes lumineuses et de fragiles instants de vérité. »

Brice Homs est musicien, parolier et scénariste et cela se sent, je dirais presque que cela s’entend dans le rythme des mots, des phrases, des chapitres courts qui donnent le tempo d’un livre original et complètement atypique.

Avec lui, on va suivre le destin de Loretta, de Martin mais aussi de Maria, Hank, Suzanne, Simon Smoné…, dans le pays cajun, dans la forêt des bayous, dans l’atmosphère des bars, dans la moiteur de la Louisiane.

J’avoue avoir eu un peu de mal à entrer dans ce livre. Mais une fois plongée dans l’histoire, j’y ai découvert un milieu humain et culturel que je ne connaissais pas et j’ai eu envie d’en savoir plus, de mieux comprendre. Et j’ai apprécié l’écriture de Brice Homs qui sait écrire avec finesse et humour.

J’en veux pour preuve ces deux extraits du chapitre « Désert », pages 212 et 213 :

« L’homme est composé à soixante-cinq pour cent d’eau. Donc de chagrin. Les chagrins poussent dans le désert où l’eau se fait rare, alors on la garde en soi. En cela, les hommes et les plantes se ressemblent. Un réflexe de survie. Exister…

Je ne sais pas à quoi participe le participe passé. Tout ce qui est passé participe du présent, qui est déjà le futur lui-même. Comme dans l’aoriste des Grecs. Le futur est une promesse et les promesses sont entre nos mains. »

2. La Tour de Doan Bui aux éditions Grasset

Voici un premier roman qui a pour décor un quartier du 13e arrondissement de Paris, les Olympiades, qui a donné son nom au film de Jacques Audiard sorti en novembre 2021.

Voici la présentation de l’éditeur :

« Les Olympiades. C’est là, autour de la dalle de béton de cet ensemble d’immeubles du Chinatown parisien que s’est installée la famille Truong, des boat people qui ont fui le Vietnam après la chute de Saigon. Victor Truong chérit l’imparfait du subjonctif et les poésies de Vic-to-Lou-Go (Victor Hugo). Alice, sa femme, est fan de Justin Bieber, mais déteste Mitterrand, ce maudit «  communiste  » élu président l’année où est née leur fille Anne-Maï, laquelle, après une enfance passée à rêver d’être blonde comme une vraie Française, se retrouve célibataire à 40 ans, au désespoir de ses parents.
Cette tour de Babel de bric et de broc, où bruisse le murmure de mille langues, est une cour des miracles aux personnages hauts en couleur. Voilà Ileana, la pianiste roumaine, désormais nounou exilée ; Virgile, le sans-papiers sénégalais, lecteur de Proust et virtuose des fausses histoires, qui squatte le parking et gagne sa vie comme arnaqueur. On y croise aussi Clément, le Sarthois obsédé du Grand Remplacement, persuadé d’être la réincarnation du chien de Michel Houellebecq, son idole. Tous ces destins se croisent, dans une fresque picaresque, faite d’amours, de deuils, de séparations et d’exils.
La Vie mode d’emploi de Perec est paru en 1978, quand les Olympiades sortaient de terre. Comment Perec raconterait-il le Paris d’aujourd’hui  ? Ce premier roman de Doan Bui tente d’y répondre, en se livrant lui aussi à une topographie minutieuse d’un lieu et de ses habitants. L’auteure y décrit la France d’aujourd’hui, de la coupe du Monde 98 aux attentats de 2015 dans un roman choral d’une drôlerie grinçante. »

Au début du livre, l’auteure prévient que ce quartier existe vraiment, mais que la tour Melbourne, cette tour de trente-sept étages, est un produit de son imagination. Ce quartier, créé dans les années soixante-dix, avait pour objectif un renouveau de l’arrondissement où ce quartier était destiné à accueillir des cadres supérieurs. Mais cet objectif restera une utopie et, dans les années quatre-vingt,  au lieu des cadres viendront s’y installer des Vietnamiens, des Cambodgiens, des réfugiés, rescapés des boat people, faisant petit à petit de ce lieu le Chinatown parisien.

Dans ce roman, les destins se croisent et on s’attache aux personnages dépeints avec humanité, des personnages qui cherchent leur place dans un pays, une société dans laquelle ils se sentent étrangers. « Comment fait-on pour être un vrai Français ? » Tel est le sens de leur quête. Cependant, bien qu’en face d’un sujet grave qui renvoie à la France l’image de son passé colonial, on n’est jamais dans la revendication, dans la rancoeur. On rit parfois de situations cocasses, racontées avec humour et fantaisie.

Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié ce livre, très réussi. Je précise qu’il s’agit bien d’un premier roman. Mais Doan Bui est journaliste, elle sait manier les mots avec finesse et justesse, elle sait observer et analyser, sans prendre parti, sans juger ; au lecteur de se faire sa propre opinion.

Et justement, en parlant de mots, voici une petite citation qui évoque le français, la langue que ces déracinés doivent apprendre :

« L’inutilité était la définition même de l’élégance. Le français était une langue de riches qui pouvait se permettre l’inutilité. La langue des pauvres était abrupte, elle n’avait pas le temps de se perdre en détours, elle allait à l’essentiel, manger, dormir, marcher, des verbes d’action secs et efficaces.

Non que le vietnamien ne fût subtil, le vietnamien des grandes épopées et des poèmes était si beau. Mais chaque langue dessinait son propre paysage mental. »

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3. SARA : elle veille sur vous de Sylvain Forge aux éditions Fayard

Je vous en lis le résumé de l’éditeur :

« Big sister is watching you « SARA peut retrouver votre enfant perdu dans une foule ou veiller sur votre adolescente qui rentre de son cours de gym, à la nuit tombée. Pourquoi tant de gens la détestent-ils ? »
Nantes est devenue la terre de toutes les luttes. Confrontée à une explosion de la délinquance, la cité des Ducs élit un nouveau maire, le très populiste Guillaume de Villeneuve : avec SARA, un réseau de caméras intelligentes, il entend mettre la ville au pas.
Quand l’un de ses proches, expert en robotique connu dans le monde entier, disparaît mystérieusement, la commandante de police Isabelle Mayet est chargée de l’enquête. Jeune maman tiraillée entre sa nouvelle vie de famille et son devoir de flic, elle doit compter sur l’aide de Lucas, son nouvel adjoint aux méthodes peu orthodoxes, et d’un jeune expert en cybersécurité.
Mais dans cette affaire, les policiers nantais, déconsidérés et menacés par l’intelligence artificielle à qui certains prêtent toute-puissance, vont payer le prix fort.
Applaudi par les uns, farouchement combattu par les autres, le système de surveillance divise : jusqu’où chacun est-il prêt à aliéner sa liberté au nom de la sécurité ? »

SARA n’est pas un prénom. C’est le sigle de Search And Report Application, un système de surveillance de la ville de Nantes. Dans cette ville se tient un séminaire dont le titre est Nantes, une histoire de la contestation sociale du XVIIIe siècle à la ZAC  au cours duquel Léo, un jeune activiste, doit faire un exposé sur les grandes grèves de 1955 et ne s’y présente pas. C’est là que démarre l’enquête policière que va diriger Isabelle Mayet de retour de son congé de maternité, mal remise du traumatisme d’une séquestration dans l’exercice de son travail de policier. C’est également à ce moment-là qu’arrive le nouveau chef, le commissaire Olivier Jacquemin. Et intervient également dans l’enquête, Lucas, un adjoint venu des Stups, aux méthodes personnelles assez spéciales.

Mais le coeur du livre est la question des systèmes de surveillance et de la façon dont ils peuvent empiéter sur nos libertés et notre intimité. Et jusqu’où on peut aller sachant que tout système informatique peut être piraté et utilisé à des fins délictueuses.

Spécialiste en cybersécurité, Sylvain Forge maîtrise parfaitement la question et il entraîne le lecteur dans des situations qui donnent la chair de poule ! On se trouve plongé dans une suite d’aventures haletantes et anxiogènes. Les personnages sont consistants et bien décrits avec leurs problèmes personnels, leurs questionnements, leurs angoisses. Un thriller haletant écrit en chapitres courts ce qui contribue à donner du rythme à un récit où les surprises ne manquent pas. Vraiment une belle découverte.

Voici une citation qui parle du maire et du système de écurité :

« Votre sécurité, ma priorité.
Des affiches le montraient debout devant un mur d’écrans : la fameuse salle d’«hypervision » dont les médias avaient abondamment parlé, installée en haut de la tour Bretagne. C’était le cœur névralgique de SARA, Search and Report Application, le dispositif de vidéosurveillance municipal. Composé d’intelligence artificielle, de caméras haute définition et de capteurs high-tech disséminés un peu partout, il offrait à la ville une plateforme numérique destinée à contrôler l’espace public. Une gageure pour une cité réputée rebelle, berceau du syndicalisme anarchiste. »

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4 – Les Contreforts de Guillaume Sire aux éditions Calmann-Lévy

Et voici mon premier coup de coeur, Les Contreforts de Guillaume Sire aux éditions Calmann Lévy.

Qu’est-ce qui n’est pas impossible ? C’est la devise des Testasecca, famille noble dont un ancêtre, le capitaine Clodomir, hurlait à ses guerriers : « tenir est impossible, mais je vous le demande, mes amis, je vous le demande au nom de Dieu, de la France et de l’Empereur : qu’est-ce qui n’est pas impossible ? »

Voici la présentation du livre en quatrième de couverture :

« Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château-fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dérobés.
Clémence, 17 ans, bricoleuse de génie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, 15 ans, hypersensible, braconne dans les hauts plateaux ; Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs décroître à mesure que la vieillesse le prend ; Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gérer la propriété.
Ruinés, ils sont menacés d’expulsion. Et la nature autour devient folle : des hordes de chevreuils désorientés ravagent les cultures.
Frondeurs et orgueilleux, les Testasecca décident de défendre coûte que coûte le château.

Dans cette épopée baroque et tragique où on retrouve toute sa puissance romanesque, Guillaume Sire érige une mythologie sur la terre de son enfance. »

En effet, non loin de Carcassonne, à Montrafet, dans un château-fort,classé aux Monuments historiques, fait d’un assemblage désordonné de tourelles, de coursives, de chemins de ronde, de couloirs, d’escaliers, vit la famille Testasecca : Léon, le père, « le Minotaure »,  Diane, la mère,  « la princesse », et leurs enfants Clémence, 17 ans, « la bricoleuse de génie », et Pierre, 15 ans, « le baron perché ». Cette famille complètement désargentée va tout mettre en œuvre pour sauver leur château qui tombe en ruine.

« Depuis mille ans, les Testasecca sont enterrés au sommet de Montahut. C’est là-bas que reposent la baronne Mahaut, le capitaine Clodomir, Isambar le Magnifique, Eugénie, Piotr, Élisabeth et les autres. En général, on ne met rien sur la tombe, aucun signe, ou alors quelques pierres, ou bien un brûlage qu’emporteront la pluie et le vent. De cette façon, on s’assure que personne ne sait où les cadavres se trouvent. »

Ce livre passionnant est découpé en cinq actes, comme les différentes parties d’une tragédie. Et il s’agit bien de cela puisqu’un arrêté vient de frapper le domaine de fermeture et que la famille doit en être expulsée ; et tous vont se mobiliser, tout mettre en œuvre pour la sauver. On sera entraîné dans leur lutte qui mobilisera les efforts de Rachtouille, l’ami de Clémence, aidée du chien Bendico et de son tracteur monstrueux Hyperélectreyon ; même le gendarme Jeannot fera son possible pour leur venir en aide alors qu’il est chargé d’appliquer la loi.

Ce livre est passionnant, on ne le lâche pas. On ressent non seulement de l’empathie pour les personnages, qui pourtant enfreignent bien souvent la loi, mais également une grande attirance pour ce lieu, pour l’atmosphère qui y règne, pour la préservation de ce terroir. Vraiment, une très belle découverte littéraire.

Pour terminer, en voici deux extraits pour vous mettre dans l’ambiance :

Page 296

« L’orage et l’incendie s’affrontent. La pluie est phénoménale. Des cascades reviennent dans les éclairs. Des torrents de boue dévalent les chemins. Au fond du temple des nuages, Pierre voit briller des arbres de lumière. Les couronnes d’orties brûlent. La pierre fond sous les crocs du chien d’ombre. En l’air, ce sont des odeurs de poivre, d’argile fraîche, de résine, de caramel, de métal, d’oisillon mort, de coquillage cramé. Pierre a reconnu l’incendie de son enfance. Les souvenirs volent autour de lui en pommes de pin enflammées. »

Épilogue p. 345 :

« Tout le monde peut y aller. Il suffit de se rendre à Palaja, près de Carcassonne, et de suivre, derrière le nouveau cimetière, le chemin de Montrafet. Vous verrez les chênes verts. Vous entendrez le vent dans les genêts. Vous aurez sur les yeux une pellicule de poussière. Marchez vers Montahut et, derrière les crêtes rocheuses, enfoncez-vous par les plateaux d’herbe jaune. Avec un peu de chance, vous découvrirez ce labyrinthe dont les pierres noires ont été mélangées depuis le temps à la terre, ravagées par les arbres épineux et par des sangliers de plus en plus féroces et nombreux… »

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Le Livre des heures, d’Anne Delaflotte-Mehdevi aux éditions Buchet-Chastel

Et voici une belle découverte, Le Livre des heures, d’Anne Dalaflotte-Mehdevi aux éditions Buchet-Chastel.

J’ai découvert ce livre à la bibliothèque de Châteauneuf et j’ai eu énormément de plaisir à lire ce texte, écrit en partie dans le cadre d’une résidence d’auteur à la ville Marguerite-Yourcenar.

Voici la présentation faite par l’éditeur en quatrième de couverture :

« Marguerite, fille et petite-fille d’enlumineurs, vit sur le pont Notre-Dame. Son frère jumeau est gravement malade et sa mère préférerait que ce soit Marguerite. Chaque jour, elle accable sa fille, et chaque jour, pour échapper à sa mère, Marguerite se réfugie dans l’atelier d’enluminure et ses couleurs fabuleuses.

Elle va réussir, non sans peine, à intégrer l’atelier familial. Sa vie semblera dès lors tracée ; jusqu’au jour où son parrain apothicaire lui présente Daoud. »        

Un livre d’heures est un livre liturgique destiné aux fidèles catholiques laïcs et qui permettait de suivre la liturgie des heures. En complément de ce recueil de prières liées aux heures de la journée, il comprenait généralement un calendrier pour suivre l’évolution de la liturgie tout au long de l’année, mais aussi parfois des psaumes, les évangiles, ainsi que des offices particuliers. Les plus modestes, mais souvent les plus lus (au Moyen Âge la lecture se faisait à haute voix) ne sont pas illustrés, tandis que pour les plus luxueux, qui présentent une grande variété de parchemins et de reliures, on faisait appel à des calligraphes de renom et aux services de grands enlumineurs. Parmi les plus célèbres, on peut citer Les Très Riches Heures du duc de Berry enluminées au début du XVe siècle par les frères Limbourg.

Je ne connaissais pas Anne Delaflotte-Medhevi et j’ai eu un vrai coup de cœur pour ce merveilleux livre. Elle y met en scène Marguerite, fille et petite-fille d’enlumineurs, qui vit à la fin du XVe siècle, peu avant l’avènement de l’imprimerie. Fillette, Marguerite est fascinée par les couleurs et le travail dans l’atelier familial situé sur le pont Notre-Dame, pont de bois largement construit et habité. Très attachée à son frère, Jacquot, qui souffre d’épilepsie, appelée alors maladie de Saint-Jean, Marguerite est en constant conflit avec sa mère alors qu’elle se plaît en compagnie de son grand-père et de son père qui finissent par l’accepter au sein de l’atelier. Elle va alors s’affirmer et montrer ses compétences dans une société médiévale fort bien décrite et qui obéit à des codes sociaux et comportementaux dictés par la religion.

Marguerite va se composer son propre livre d’heures dans lequel, outre les prières, elle notera ses émois et ses amours.

Rédigé au présent, le livre est vivant, les personnages attachants. Le contexte historique est fidèle et bien décrit. J’ai apprécié quelques phrases écrites en vieux français qui parsèment l’ouvrage, donnent de la véracité au récit et n’en restent pas moins fort compréhensibles. Et, par-dessus tout, l’amour de la vie et de la couleur et une poésie partout présente, une très belle écriture. Un merveilleux livre qu’on savoure comme une gâterie, un pur moment de bonheur.

En voici quelques extraits :

Page 23, on parle de la couleur.

« Les maisons des petites gens sont couleur de bois, de pierre, de boue, de chaume, leurs mobiliers de terre cuite, d’étain, leurs habits d’étoffe non teinte ou si peu. Le Moyen-Âge est friand de couleur vive autant que d’épice. La couleur est l’apanage de la nature, de la nature divine, des Hommes qui en ont extrait les secrets et de ceux qui peuvent se les payer. Plus elle est vive, saturée, plus elle est enviable, enviée. »

Pages 141-142, Marguerite parle du noir des yeux de Daoud.

« Dans son livre d’heures, elle peindra cet aplat de couleur noire. Un noir si noir, profond et mat, que le regard se posant dessus se trouve comme aspiré.

Sur ce noir sont semés des points d’or, comme autant d’étoiles, aspirées elles aussi vers un point qui n’est pas central à la page…

Ce tableau de couleur dans le livre d’heures de Marguerite, sans cartouche au coeur, sans texte aucun, est le tableau des yeux de cet homme. »

J’espère que vous appécierez ce livre assez court mais d’une grande intensité. Bonnes lectures et rendez-vous le 16 juin pour la dernière émission avant les vacances d’été.

À bientôt le plaisir de vous retrouver.

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